Lundi 13 janvier 2025, le Clis de Bure a accueilli pour son assemblée générale la Commission Nationale d’Évaluation chargée - comme son nom l’indique - d’évaluer les recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs. Elle présentait son rapport n°18.
Sauf que, 18 rapports plus tard on en est toujours au même point : chaque rapport n'est qu'une pâle copie du précédent : la CNE apporte son soutien à la poursuite de la filière électro-nucléaire et donne trop souvent son aval au projet Cigéo sans véritable évaluation, en reprenant à son compte les affirmations de l'Andra.
Quelle ne fut pas notre stupeur hier, lorsque durant leur soporifique présentation, la CNE a insisté - hors rapport- sur l'importance du consentement et sur
la nécessité d'obtenir une double autorisation pour Cigéo : une autorisation technologique et une autorisation sociologique. La seconde leur semblait acquise : les membres de la CNE ont-ils la
mémoire courte (l'amnésie, c'est pratique) pour ne pas prendre en compte l'importance de la contestation du projet depuis plus de 30 ans malgré la redoutable "fabrique du consentement" mise en
œuvre sur le territoire (pour reprendre la formule utilisée par un des membres devant un auditoire ébahi) ?
Devant des interventions condescendantes et qui se contentent de répéter les propos de l'année précédente, les associations opposées au projet siégeant au Clis ont décidé de ne pas poser de
questions lors de cette audition - nous n'avons rien à en attendre - mais d'effectuer collectivement la déclaration ci-dessous :
"Mesdames, messieurs les membres de la CNE,
Votre rapport N°18 mérite plus que quelques questions analytiques. La lecture que nous en avons fait et votre audition ce jour confirment à nouveau nos doutes. Nous déplorons une fois de plus la partialité grandissante de votre travail.
Partialité
En titrant celui-ci : « Le recyclage complet des combustibles nucléaires, contribution importante à la souveraineté énergétique », vous annoncez la couleur. Vous prenez parti pour la relance d’un nouveau programme nucléaire. Est-ce bien le rôle d’un organisme évaluateur ?
Partialité encore
Vous n’avez auditionné que les principaux organismes et entreprises du secteur électronucléaire, à l’exception surprenante de l’ASN et de l’IRSN. Aucun acteur indépendant n’apporte, par ailleurs,
une vision différente, ou contradictoire.
La première partie est un catalogue des intentions des opérateurs de la filière industrielle.
Des projets de nouveaux réacteurs aux usines de retraitement, ... vous validez l’urgence impulsée par le gouvernement. Mais quelle évaluation réelle faites-vous de ces projets d’une ampleur considérable ?
Rien sur la pertinence de telles orientations, rien sur les coûts annoncés, pharaoniques, ni sur les charges à reporter sur les générations futures ; aucune interrogation sur des alternatives, au sein d’un projet de société adapté aux mutations et aux enjeux d’aujourd’hui. Rien, bien sûr, sur la production de nouveaux déchets, par nature ingérables. Allez-vous préconiser un jour de les enfouir eux aussi en Meuse/Haute-Marne ?
Focus sur le projet Cigéo
Que peut-on en retenir ? Que Cigéo est un projet progressif, flexible, que le stockage serait « adaptable », bref, rien à craindre. Cigéo pourrait idéalement évoluer dans le temps.
Vous faites vôtres ces nouveaux éléments de langage estampillés Andra. Ils ne semblent pas vous inquiéter outre mesure alors que l’on parle quand même du chantier le plus long, le plus
gigantesque et le plus risqué jamais envisagé aujourd’hui en Europe... En somme, donner le feu vert à un projet dont la conception même serait inachevée ne vous inquiète pas, contrairement à
nous, ici.
Vous avez adopté la proposition de l’Andra, à savoir qu’une fois le processus de remplissage du stockage lancé, je vous cite : « il n’y ait pas d’interruption des opérations de mise en
stockage pendant la phase d’instruction de la phase-pilote ». Sur quels critères recommandez-vous cela ?
Il faut impérativement exiger l’arrêt de toutes opérations de remplissage pendant que l’on tire un premier bilan.
C’est le Parlement et lui seul qui doit décider de la poursuite – ou non- de l’exploitation APRES l’évaluation des travaux menés pendant la phase-pilote. Qui êtes-vous pour vous substituer à lui ?
Côté déchets bitumés, nous avons du mal à croire que le problème est résolu, alors que les études actuelles sont incomplètes. Vous déplorez depuis 2023 le manque d’avancée sur le volet 4 du programme de recherche Babylone, relatif à la neutralisation des fûts d’enrobés bitumeux. En même temps, vous accréditez pourtant
- D’une part l’idée que leur stockage serait possible en l’état, côté réactions thermiques, selon le CEA.
- D’autre part que les critères de sûreté ne seraient pas compromis sur le volet gonflement des bitumes, sous l’action de l’eau présente dans le milieu, selon l’Andra.
Seriez-vous entrain de nous préparer à leur enfouissement tels quels ou presque ?
Que conclure ?
Sans détailler d’autres points, nous déplorons que ce rapport de la Commission ne réponde pas à une véritable évaluation des recherches. Pouvez-vous vous en tenir à cette mission, sans apporter de recommandation de nature politique ?
Nous surveillerons attentivement les résultats de votre étude de la DAC pour Cigéo.
Est-ce que vous réalisez que ce projet industriel hors-norme impacte notre territoire depuis des années, que des gens bien vivants y habitent, qu’on ne les a jamais consultés ?
Qu’on exerce des pressions sur eux, que beaucoup sont effrayés et impuissants devant les mutations qui s’annoncent, que d’immenses dangers leur sont cachés ? Vos rapports successifs s’en tiennent à des recommandations d’ordre exclusivement technologique qui auront pourtant des conséquences pour des milliers d’’années.
Où est l’humain dans tout ça ?
Pour finir, certains s’en souviennent peut-être,
le 13 octobre 2004, des membres du Clis (Comité local d’information et de suivi) ont déchiré le rapport n°10 de la CNE 1. Motif, un profond désaccord sur la position de la commission, qui
préconisait d’installer au plus vite Cigéo, via la loi de 2006 qui se profilait. Elle reprenait l’argument de l’ANDRA : il n’existe aucun élément rédhibitoire s’opposant à l’enfouissement à
Bure.
Un élu local dénonçait : « ce rapport repose sur une multitude d’incertitudes, vous le laissez entendre, pourtant votre message est clair à l’usage des parlementaires : vous pouvez
en 2006 décider de transformer la région de Bure en centre de stockage ».
Un autre élu alertait « Par rapport au contenu, la conclusion qui est donnée est une honte.
Donc aujourd’hui, symboliquement, ce rapport je le déchire et c’est toute la considération que je suis obligé d’avoir pour le travail de la CNE. Je le déchire, et je demande à ceux qui sont
d’accord avec moi d’en faire autant. Symboliquement, déchirons ce rapport qui ne vaut rien ! »
20 ans et 3 mois après, nous en sommes au même point. Nous déchirons donc ce rapport 2024, tronqué et sans autre utilité que de masquer l’essentiel, en signe d’une profonde protestation, pas prête de s’éteindre."
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> LIRE la note de lecture GLOBAL CHANCE/B. LAPONCHE / Rapport n° 18 CNE - Décembre 2024
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