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ZOOM : Compte-rendu du RDV des confiné-es sur les sous-traitant-es nucléaires durant le Covid-19

Vendredi 17/04 a eu lieu le premier rendez-vous des confiné-es autour du nucléaire et son monde. Pour rappel, cette période de confinement a mis en stand-by nos projets, et nous avons souhaité organiser ces rendez-vous virtuels afin de pouvoir continuer à discuter des questions que pose le nucléaire dans un monde toujours plus incertain. `

 

Pour le lancement, il nous a semblé évident qu'un sujet à aborder en priorité était celui des travailleurs du nucléaire en plein covid-19. L’une des premières inquiétudes que l'on a pu ressentir au début de la crise sanitaire fut en effet celle-ci : mais comment cela se passe-t-il dans les centrales nucléaires en ce moment ? Quelques recherches sur internet ont suffit pour tomber sur les prises de paroles d'EDF ou d'ORANO se bornant à assurer que « l'approvisionnement en électricité se fera sans rupture. » D'accord.. mais dans quelles conditions ? Nous pressentions que derrière le discours officiel se cachait une réalité moins lisse. Un coup de fil à Gilles Reynaud, salarié d'ORANO, président de l'association "Ma Zone Contrôlée" et militant SUD Energie,que l'on avait déjà invité dans le cadre du Cycle de conférences Grand-Est et de Vent de Bure pour parler des sous-traitants du nucléaire, a confirmé ce que l’on avait flairé : sur les sites nucléaires, l'inquiétude sévit.  

 

Le live de Gilles Reynaud a donc été lancé à partir de la page facebook du CEDRA, et fut diffusé sur de nombreuses pages qui firent la demande d'une diffusion simultanée. 

 

Gilles a commencé par rappeler que les sous-traitants du nucléaire sont, pour reprendre les termes du moment, "en première ligne" face au covid-19 puisqu'ils réalisent plus de 80% des activités du parc nucléaire. Alors qu'ils sont indispensables aux exploitants nucléaires EDF, ORANO et CEA, ils ne sont pas logés à la même enseigne que les salariés des donneurs d’ordre.Par exemple, tout en reconnaissant que les conditions de travail des agents EDF sont de plus en plus difficiles (plages horaires très importantes, parfois de 10h à 12h par jour pour laisser des équipes au repos), du matériel de protection (masques et gels) est à disposition pour ces agents. Or, sur beaucoup d’installations nucléaires, ce n’est pas le cas pour les sous-traitants alors que ces derniers évoluent au milieu d’une multiplicité de facteurs qui amplifient la prolifération du virus. Sur un même site nucléaire, les intervenant-es sont nombreux et la co-activité en zone nucléaire (dans les zones contaminantes et irradiantes) est souvent la règle : plusieurs corps de métiers réalisent leurs tâches au même moment dans un même local, ce qui rend difficile le respect des consignes de sécurité, de barrières et de distance sociale. 

 

Gilles a d’emblée tenu à avoir une pensée pour les entreprises de nettoyage qui interviennent sur les sites nucléaire et qui subissent à la fois les pressions des donneurs d'ordre et le comportement de certains collègues qui voudraient qu'après chaque passage ces personnels soient à leur disposition désinfecter ; ce qui est très difficile pour eux qui ne disposent pas toujours de matériel pour se protéger. Gilles nous permet ainsi d'entrevoir une autre facette de la réalité des sous-traitants : ils sont largement mis en concurrence, ce qui peut encourager des comportements égoïstes (dixit Gilles) alors qu'ils interviennent dans des situations déjà suffisamment dangereuses pour ne pas y ajouter des difficultés supplémentaires. 

 

Ce que l’on retient de l’intervention de Gilles, c’est que finalement la crise sanitaire met en exergue les profondes inégalités entre les salariés statutaires et les sous-traitants du nucléaire. 

 

- Alors que les conditions de travail, le cadre de la rémunération, des congés ou encore de la formation des salarié-es du nucléaire sont fixés par les conventions collectives des exploitants nucléaire, les prestataires sont soumis à des appels d'offre. Ils servent principalement de variable d'ajustement économique à une situation économique par rapport à un exploitant. Ce que Gilles regrette, c'est que dans plus de 80% des cas, le choix des exploitants se porte moins sur le moins disant social plus que sur l’aspect technique et la culture sécurité/sûreté des salariés. Cela se répercute immédiatement sur les conditions de travail et de rémunération pour des métiers pourtant sensibles et exposés à une panoplie de pollutions (radioactivité, mais aussi amiante ou autres produits chimiques) 

 

- Ils sont soumis à de multiples pressions, de la part de leurs entreprises mais aussi des exploitants du nucléaire : les entreprises de sous-traitants ont un seul objectif, la satisfaction du client. Or leurs conditions de travail étant loin d'être optimales, il y a des risques que ces pressions génèrent une anxiété qui se répercute sur la qualité du travail - par exemple, qu’il y ait des manques de qualité de la maintenance ou des problèmes de falsifications de documents. Gilles nous avoue que des collègues à lui ont été contraints à signer un document attestant de la réalisation d'une intervention, contrôle qu'ils n'avaient pas réalisé par manque de ressources humaines, de compétences ou à cause de l’ambiance stressante faute de protection contre le Covid19. Au contraire, parfois les tâches sont effectuées au risque de se mettre en danger. 

 

- En période de covid-19, l'inégalité se creuse entre salariés statutaires et sous-traitants car pour ces derniers les matériels de protection sont moins accessibles. Les exploitants privilégient leurs salariés statutaires, tandis que pour les prestataires, cette mise à disposition est de la responsabilité de leurs employeurs. Derrière la vitrine exposée par les exploitants nucléaire sur ce qui est mis en place pour respecter des mesures de sécurité, le travail ne se fait pas dans de bonnes conditions. Derrière la possibilité des droits de retrait, se cache la pression du management de l'entreprise, le client qui ne va pas renouveler son contrat et donc le chantage à l'emploi. 

 

- Gilles met le doigt sur une population de sous-traitants appelés dans leur jargon "les nomades", les travailleurs en grand déplacements, qui interviennent sur différents chantiers en France en fonction de là où les exploitants ont besoin de ressources et de compétences. Ces travailleurs arrivant des quatre coins de la France peuvent être potentiellement porteurs du covid-19. Sans dépistage efficace et moyens de protection adéquats, il est à redouter que des sites nucléaires en arrêt tranche (réacteurs mis à l'arrêt pour maintenance) deviennent des clusters du covid-19.

 

Gilles a terminé son intervention en précisant que la demande en terme de consommation électrique est moins importante actuellement vu que de nombreux secteurs d'activités sont au chômage partiel. De fait, la Ministre Elisabeth Borne et l'Autorîté de Sûreté Nucléaire ont demandé à EDF de produire une priorisation où il faudra mettre les moyens nécessaires pour finir les arrêts tranches. C'est là qu'il va falloir être vigilant, puisqu'il y aura probablement des migrations de travailleurs nomades. 

 

Gilles admet que depuis quelques mois, grâce au travail de Ma zone contrôlée, et à celui du syndicat Solidaires Sud Energie, la parole s’est libérée chez les sous-traitants, ce qui les rend moins invisibles. Il y a peu à peu une prise de conscience du fait qu’ils sont indispensables, mais c’est encore trop lent. 

 

À l’attention de ses collègues prestataires, il rappelle que l'article 4 des statuts des IEG (agents d'EDF) précise que "un salarié qui est permanent sur une installation d'EDF doit bénéficier du statut des IEG", et encourage chacun à revendiquer l'application de cette loi. Il espère que dans un temps prochain le statut des salariés du nucléaire ruissellera sur celui des sous-traitants, ce qui pourrait se traduire par exemple par la mise en place d'une convention collective pour les travailleurs du nucléaire. L’exemple des entreprises de nettoyage que Gilles avait cité au début de son intervention est alors particulièrement éloquent : le ménage dans un site nucléaire s’apparente à de la décontamination et à de l’assainissement, de fait la convention du nettoyage est particulièrement inadaptée à la réalité de ce métier tout comme celle du transport pour ses collègues magasiniers. 

 

Si la situation se détériorait plus encore, il alerte sur le fait que les exploitants nucléaire finiraient par recourir aux travailleurs détachés (les ressortissants de l'UE) avec un seul et unique objectif : réduire le coût du travail. 

 

Les conditions de travail des prestataires du nucléaire sont à améliorer en urgence : Gilles a l'habitude de rappeler que le climat de pression subit par les sous-traitants génère du stress qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la qualité de leur travail. Le covid-19 est une source d'anxiété qui s'ajoute à la précarité existante. Et pourtant, quand on voit la gestion de la crise du covid-19, nombreux-ses sont celles et ceux à avoir fait le rapprochement avec la gestion d'un accident nucléaire majeur… Ce témoignage est une des pistes pour l’éviter.