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Retour sur l'article "Comment l'Andra utilise des youtubeurs pour rendre "cool" les déchets radioactifs"

Source image et article : https://reporterre.net/L-Andra-utilise-des-youtubeurs-pour-rendre-cool-les-dechets-radioactifs

 

Bien embarrassée de ne pas convaincre sur le plan technico-scientifique, il y a longtemps que l'Andra est devenue une agence de communication. Pour toucher un nouveau public, elle sait utiliser les codes de la communication numérique. Débusquant des youtubeurs souvent plébiscités par la jeune génération, elle les invite à visiter le laboratoire. Certains youtubeurs se contentent alors de recracher la salade que l'agence leur fait avaler durant la visite. Après visionnage, sans recul, le public pourrait presque se dire : ma foi, les déchets radioactifs, c'est plutôt fun !

 

Alors que cette année pourrait être déterminante ("pourrait", car nous savoir combien le calendrier doit être pris avec des pincettes) et que l'Andra devrait être bien occupée à réfléchir aux réponses qu'elle devra apporter dans sa demande d'autorisation de création, il semble pourtant qu'une de ses priorités ces dernières années fut de trouver des concepts et outils innovants pour convaincre de la nécessité du projet Cigéo. L'objectif longtemps dissimulé de l'Andra était bien d'emporter l'adhésion à Cigéo plutôt que d'apporter sa démonstration de faisabilité, quitte à tâcher son manteau d'agence scientifique et à tailler sa crédibilité en pièces. Pour cela, elle multiplie les supports de communication.

Elle s'appuie notamment sur des youtubeurs. Ils ne sont pas forcément liés par un contrat, ils ne sont pas nécessairement payés pour ce qu'ils produisent ensuite (sous divers formats : vidéos, reportages, BD etc.) ; et pourtant, ils sont bien à sa botte. L'Andra utilise, diffuse, publie ces communications externalisées, là où elle peine à visibiliser ses propres vidéos (l'article révèle ainsi l'audience faible des contenus produits par l'Andra). Aussi, 40 youtubeurs ont visité l'Andra entre 2014 et 2016 et contribuent, à leur escient ou non, à la diffusion de mensonges ou d'approximations inquiétants : "Cigéo est la seule solution aux déchets radioactifs" - "Antinucléaires ou non, nous aurons besoin de plusieurs sites comme Bure car les déchets existent" - la fable du cycle vertueux du nucléaire et du combustible recyclé etc.

 

Derrière ces mises en scène vantées comme objectives, on perçoit pourtant clairement le discours calibré de l'Andra. Il est même assez étonnant de remarquer à quels points ces youtubeurs n'ont pas cherché à sourcer davantage leurs propos afin de les rendre plus étayés, même en façade. Lorsque l'histoire de l'enfouissement est relatée, des éléments majeurs ne sont jamais évoqués : le fait qu'il devait y avoir plusieurs laboratoires, que la population s'était prononcée en faveur d'un stockage en subsurface en 2005 ou encore les retours d'expériences désastreux de stockage profond. La fresque historique du projet oublie les déboires juridiques de l'Andra, les méthodes assumées de recherche d'acceptabilité sociale, le rôle des GIP, la répression des opposant-es.

 

Les youtubeurs ne s'interrogent pas, s'amusent à des questions-réponses maîtrisées avec l'Andra. Certains assument de ne rien connaître de la gestion des déchets radioactifs ; ce qui ne serait pas dérangeant s'ils ne se contentaient pas ensuite de régurgiter les éléments de langage prémâchés de l'Andra. Par exemple, l'article cite le youtubeur Astronogeek affirmant que "l'Andra n'a pas grand chose à voir avec l'industrie nucléaire" alors que quelques recherches auraient suffi pour citer les nombreux liens entretenus entre l'industrie nucléaire et l'Agence (financement, composition, communication..).

 

Ces youtubeurs se font-ils les porte-paroles déguisés de l'Andra sans le vouloir ? Prennent-ils la mesure de la dangerosité de leur manque de rigueur ? La vulgarisation d'un sujet, oui. Le manque d'approche scientifique dans une telle démarche, non ! Utiliser divers canaux de communication pour toucher différents publics, oui.. mais sans le souci d'apporter une information solide, non. Si nous comprenons les prises de position et ne défendons pas coûte que coûte le devoir de neutralité, nous sommes attachés à celui d'objectivité.

 

Soulignons que cet article met le doigt sur une dimension de l'Andra qu'elle s'efforce de camoufler : son investissement massif (en terme de temps et de coût) engagé pour persuader de l'importance de Cigéo, plutôt que de s'attacher à démontrer son utilité. Peut-être a-t-elle pris conscience que cela était peine perdue ? L'Andra avait déjà déniché des youtubeurs à travers une agence de partenariat, sous couvert de décloisonner le débat. Il est certain qu'au moins l'un d'entre eux assumait d'être rémunéré, conscient qu'il s'agissait là d'une opération commerciale (Lire l'article "Déchets nucléaires : l'Andra paye des médias pour orienter l'opinion en faveur de Cigéo"). Le rôle de l'agence a progressivement glissé vers un outil de publicité au service de Cigéo : elle y consacre "un peu plus d'un million d'euros par an". Il est certain que nous n'avons pas le même budget, ni les mêmes moyens... Mais ce ne sont pas quelques youtubeurs, quelques visites guidées, quelques portes-ouvertes et jeux interactifs qui crédibiliseront l'option qu'elle s'efforce de défendre.