L'enquête publique Unitech touche à sa fin, et notre avis est défavorable (sans réserve!)

Notre lettre aux Commissaires Enquêteurs :

 

 

Notre association CEDRA – Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs -, a pour objet de lutter contre les pollutions et les risques pour l’environnement et la santé que représentent l’industrie nucléaire et les activités et projets d’aménagements qui y sont liés. Plus largement, elle a pour objet de protéger l’environnement et le cadre de vie dans l’intérêt des générations présentes et futures et de préserver la santé publique.

 

 

Conformément à nos statuts, nous œuvrons donc pour une meilleure information et une transparence sur les activités ayant des incidences environnementales et sanitaires. C’est à ce titre que nous déposons cette contribution à l’enquête publique sur le projet de laverie nucléaire et d’unité de décontamination porté par la société Unitech à Suzannecourt.

 

 

Avant d’entrer dans le fond du dossier, nous attirons l’attention de Messieurs les Commissaires sur le fait que l’intitulé de l’enquête publique portant sur « une blanchisserie industrielle destinée au secteur nucléaire » il induit gravement en erreur puisqu’il ne fait écho qu’à une seule activité d’Unitech, celle de la blanchisserie industrielle destinée au nucléaire, omettant de mentionner l’activité d’entreposage et de maintenance de matériel et d’outillages en provenance du secteur nucléaire français et européen. Comment comprendre cet « oublie », alors que même l’avis de l’Autorité Environnementale porte sur une « blanchisserie industrielle et zone de maintenance destinée au secteur nucléaire » ?

 

Sans analyse approfondie du dossier soumis à enquête publique ou connaissance en amont du projet (ou plutôt « des » projets) d’Unitech, la population n’aurait donc pas connaissance de l’intégralité des activités à la lecture de cette appellation de l’arrêté préfectoral d’enquête publique. Nous considérons qu’il y a une certaine tromperie et nous regrettons qu’elle soit symptomatique de la manière dont les promoteurs ont conduit l’instruction du projet jusqu’à aujourd’hui. Mensonges répétés (avec ou sans omission) concernant la nature nucléaire du projet, incapacité à répondre aux questionnements naturels de la population, refus d’un débat contradictoire à armes égales (soit dans des conditions démocratiques) : depuis près de 3 ans, nous n’avons pu compter que sur notre vigilance et notre assiduité pour mieux comprendre les tenants et aboutissants du projet et prétendre le connaître aujourd’hui.

 

 

Aussi, nous estimons que les projets de laverie industrielle et d’unité de décontamination destinées au nucléaire ne pourraient s’implanter sans risque pour les espaces naturels et la santé publique. Notre avis ne pourra qu’être très défavorable, et nous allons vous présenter les éléments les plus saillants de notre argumentaire.

 

 

 

 

I. Qu’ils soient favorables ou défavorables, les différents avis des administrations sollicitées mettent avant tout en évidence que ces activités ne pourront se dérouler sans incidences sérieuses sur la faune, la flore, et la population.

 

 

En effet, et sans que ce soit exhaustif, nous pouvons citer :

 

 

 

1) L’avis défavorable d’août 2018 de l’hydrogéologue agréé Fabien Chiesi mandaté par l’Agence Régionale de Santé

 

 

Le rejet des eaux usées issues de la laverie nucléaire dans la Marne se ferait à proximité du périmètre de protection de deux captages alimentant la commune de Vecqueville. L’hydrogéologue a confirmé que de nombreuses incertitudes subsistaient quant aux impacts réels du projet et qu’en vertu du principe de précaution, il ne pouvait que donner un avis défavorable.

 

 

2) L’avis favorable avec réserves du 18 avril 2018 de l’Autorité environnementale

 

 

À la lecture de l’avis de la MRAE, nous regrettons la formulation « favorable avec réserves » qui, à notre sens, ne reflète pas les inquiétudes pourtant avancées par cette même autorité. En effet, il y aura bien une pollution inéluctable dans la Marne : le traitement des effluents pour lequel opte Unitech (tamisage et filtration à deux étages) piège seulement 60 % de l’activité radiologique de ces effluents. Par conséquent, 40 % des radionucléides seront rejetés dans la Marne. De manière générale, mais nous y reviendrons plus largement, la MRAE s’interroge sur le manque de justification environnementale du projet.

 

 

3) L’avis favorable avec réserves du 8 novembre 2019 de l’Agence Régionale de Santé

 

Ce second avis de l’ARS est favorable, mais ses réserves sont majeures :

 

- concernant les rejets atmosphériques (métalliques), l’ARS estime que « l’évaluation du risque sanitaire dans sa forme actuelle ne permet pas d’estimer finement le risque sanitaire découlant des rejets atmosphériques de l’activité » : l’impact sur la santé de la population n’est donc pas connu !

 

- concernant les rejets radiologiques, l’ARS dit regretter que les retombées directes de polluants sur les parties aériennes des végétaux consommés ne soit pas prise en compte – tout comme la contamination des poissons via la chaîne alimentaire ! Les préconisations de l’ARS (réalisation d’un point zéro de contamination des différents milieux, d’un suivi des niveaux de rejets réels de ces polluants après la mise en service du projet, d’une étude quantitative des risques sanitaires et mise en place de mesures correctives) révèlent une fois encore un manque de sérieux du dossier. Il est aberrant de constater de telles inconnues à ce stade de la conduite du projet. Nous craignons que les mesures complémentaires prises par Unitech soient insuffisantes et principalement correctives. Nous préférons le préventif, ce qui suppose d’abandonner le projet en l’état et en ces lieux, la démonstration de sa non nocivité n’étant pas apportée.

 

 

4) La mission d’expertise confiée à Véronique Durand du laboratoire Geops portant sur l’impact hydrogéologique des rejets du projet Unitech sur le champ captant de Vecqueville

 

 

Les propositions de l’hydrogéologue sont essentiellement portées sur le suivi après la mise en activité de la laverie alors que, là aussi, des doutes subsistent, notamment sur la question de savoir si le milieu naturel retiendrait l’uranium. À ce jour, l’étude géochimique visant à étudier le risque de cette accumulation [« de l’uranium dans l’aquifère, puis un jour de le voir être dé-sorbé soudainement au risque de dépasser des seuils acceptables de concentration dans le captage »] n’est pas réalisée alors que cette hypothèse présente un risque pour l’environnement.

 

 

II. Finalement, tous ces avis, qu’ils soient défavorables, mitigés ou favorables « avec réserves » se retrouvent pour dire que Suzannecourt n’est pas un choix judicieux.

 

 

En effet, il apparaît clairement que nombre des inquiétudes ou des réserves formulées pourraient être levées si le site était « adéquat » pour ces installations. C’est ce que la MRAE dans son avis du 18 avril 2019 regrette lorsqu’elle dit « considérer que d’autres sites auraient pu répondre aux critères avancés par l’exploitant pour justifier de l’implantation choisie ».

 

 

Celui de la Joinchère, tant au regard de son emplacement, en territoire urbanisé, que de sa situation proche des milieux naturels, ne paraît pas approprié pour ces activités.

 

 

Cette incohérence se constate sur le terrain :

 

 

- il n’est pas pensable d’installer une unité de décontamination nucléaire responsable d’émissions quotidiennes via 11 cheminées de rejets atmosphériques importants de métaux lourds (soit plus de 500 kg par an de mercure, cobalt, cadmium, d’arsenic et de plomb) et de composés organiques volatiles (68 à 245 kg par an) à moins d’un kilomètre d’habitations, d’une école, d’une crèche, et d’un centre commercial. Par ailleurs, nous pouvons rappeler que les articles du premier règlement du lotissement de la Joinchère ne seront pas respectés (par exemple concernant les nuisances sonores ou les dimensions des installations) ; preuve s’il en est besoin que ces installations ne sont pas pas compatibles avec le périmètre environnant.

 

 

 

- il est inconcevable de rejeter des eaux usées chargées de produits lessiviels et de radioéléments, même après traitement, dans la Marne dont le débit est faible et extrêmement vulnérable aux conditions climatiques ; là où les blanchisseries nucléaires rattachées aux centrales nucléaires n’avaient soit pas les mêmes besoins de débit (la totalité du linge étant moindre, chaque centrale lavant son linge), soit bénéficiaient d’un débit plus important (comme la Manche près de la Hague ou d’un fleuve dans la Vallée du Rhône).

 

 

- La Marne est une rivière en tête de bassin et ses eaux s’écoulent dans le lac du Der qui lui-même sert de bastion à la Seine et la régule. Les détergents et les éléments radioactifs qui inexorablement passeraient entre les mailles du filet et des traitements pourraient donc se retrouver à terme à des centaines de kilomètres du bassin Joinvillois. Nous redoutons une pollution par accumulation et par sédimentation, là où le Der est déjà une proie pour les cyanobactéries.

 

 

Ces craintes sont aussi issues de l’avis de l’autorité environnementale qui s’interroge sur le choix de Suzannecourt, alors que la zone d’activité où s’implantera la blanchisserie est en zone d’aléa fort d’inondation par remontée de nappe, et de plus, située sur une ZNIEFF. Des cas de crues brutales sont régulièrement observées dans ce secteur et il n’est pas évident que les précautions prises par Unitech comme surélever de 1 mètre de la surface les bâtiments de l’établissement seront suffisantes.

 

 

En conclusions, le bassin Joinvillois n’est absolument adapté à ces activités et exposerait quotidiennement le secteur à une pollution chronique et cumulative issue du « fonctionnement normal » des activités, et/ou à une pollution majeure s’il y avait un accident.

 

 

 

III. Des arguments d’ordre économique, par ailleurs contestables, n’annulent pas des impacts environnementaux.

 

 

La MRAE s’est interrogée sur « le manque de justification environnementale » du site, et avait ainsi demandé dans son avis à la société Unitech de compléter le dossier pour y remédier. La consultation de la réponse de la société à la MRAE montre que Unitech n’a pas été en mesure de le faire d’un point de vue environnemental, avançant en revanche des arguments de nature stratégique pour l’industrie nucléaire comme :

 

- l’emplacement qui « se situe au centre d’une vaste région comprenant de nombreuses installations nucléaires. L’ensemble des installations situées dans le quart nord-est de la France sont distantes de moins de quatre heures du projet ».

 

- le souhait des opérateurs de l’industrie nucléaire de se tourner vers l’externalisation. Unitech explique que les laveries de linges qui jouxtent les centrales nucléaires sont devenues obsolètes, prenant l’exemple de celle d’Orano (anciennement Areva) de la Hague qui serait trop coûteuse à remettre aux normes.

 

- le programme d’EDF pour le grand carénage, vaste opération (lourde d’un point de vue financier) qui a pour objectif de prolonger les centrales nucléaires françaises vieillissantes : les besoins d’EDF augmenteraient alors significativement.

 

 

Ces quelques paramètres exposent surtout l’intérêt du secteur haut-marnais pour l’industrie nucléaire. Et si Unitech répond que « le choix du site de Suzannecourt résulte d’une analyse multicritères », ce sont bien les arguments précités qui ont motivé ce choix. Le coeur de la Haute-Marne est un endroit stratégique pour l’industrie nucléaire, la décision de s’implanter à Suzannecourt pour Unitech reflète ainsi avant tout des intérêts économiques et politiques. C’est pourquoi Unitech peine à convaincre et à défendre l’insertion environnementale de ces activités.

 

 

Si Unitech utilise à son avantage l’étude faunistique et floristique du bureau d’étude Rainette en témoignant que « l’insertion du projet au sein de la zone concernée n’aura, pour l’essentiel des enjeux, que des incidences faibles ou négligeables sur les facteurs environnementaux », cet argument est à croiser avec la délimitation bien contestable des zones d’études de l’étude d’impact, délimitées sur un rayon de 100 mètres seulement autour du projet pour l’inventaire de la faune et sur 10 mètres de part et d’autre de la canalisation, élargie à 50 mètres pour la faune. Ce périmètre très restreint est loin de permettre une analyse exhaustive de l’incidence du projet.

 

 

Il n’est pas non plus envisageable de faire de l’emploi un argument de poids. D’une part, parce que les 40 emplois avancés par Unitech seront proposés à terme : c’est à dire qu’ils seront tributaires d’une activité optimale de la laverie (total de 1990 tonnes), alors que le premier contrat passé concerne 500 tonnes de linge et environ 10 emplois par conséquent D’autre part, ces emplois ne seraient pas pérennes puisque il y aurait des périodes de chômage technique. En fonction des conditions climatiques, la laverie pourrait être mise à l’arrêt. En période estivale où l’étiage de la Marne est au plus bas, et durant laquelle les activités consommatrices d’eau sont temporairement interdites par les restriction d’eau (la laverie nécessitant le prélèvement de 300m3 d’eau par jour), la blanchisserie ne fonctionnera pas. De ces emplois précaires induisent un turn-over important.

 

 

Aussi, les points que nous venons de soulever traduisent un réel manque de sérieux de la part d’Unitech. La justification du site n’est pas démontrée autrement que par des arguments économiques qui ne sont même pas intéressants pour la population locale. Ces éléments qui ne gomment en rien les impacts environnementaux ne peuvent être mis en balance avec des questions de santé publique.

 

 

 

 

IV. Une incohérence de plus : le statut de ces installations.

 

 

Les blanchisseries du nucléaire sont historiquement rattachées aux centrales nucléaires et, par ruissellement, ont le même statut qu’elles, c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme INB « installation nucléaire de base », sous l’égide de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (et subissent donc les contrôles inhérents aux INB). La laverie nucléaire de Suzannecourt serait quant à elle classée ICPE; elle serait donc sous l’autorité de la DREAL et n’aurait pas le même suivi alors que l’activité serait plus dense (linge en provenance, non pas d’un seul site nucléaire, mais du territoire national et à terme étranger pour un total de 1990 tonnes). Les DREAL ne disposent pas des compétences nécessaires au traitement et au contrôle des activités nucléaires.

 

 

Cette classification absurde du projet d’Unitech a pour conséquence de minimiser les impacts environnementaux et sanitaires. Nous estimons que les blanchisseries du nucléaire doivent rester reliées aux sites nucléaires dont les linges contaminés sont issus, afin de pallier ces sérieuses lacunes quant aux contrôles, en plus d’éviter des transports de matières radioactives sur le territoire dans son ensemble. C’est un argument que l’on peut aussi entrevoir dans l’avis de la MRAE lorsqu’elle juge « la justification environnementale sommaire quant à la décision de regrouper le linge de différents clients sur un même site et au choix du site d’implantation. »

 

 

 

Nous émettons donc un avis défavorable (sans réserves!).